Le temps suspendu
A Coronaland, ce qui est vrai aujourd’hui sera faux demain.
A Coronaland, ce qui est dit un jour n’a jamais besoin d’être prouvé, cela s’impose à tous.
A Coronaland, il n’y a plus de maintenant, il a été renvoyé à plus tard. On a décrété la suspension du temps. Et des libertés. Ah bon ?
A Coronaland, on ne réfléchit pas à ce qui advient profitant de notre passivité. Ce faisant on s’enfonce plus profondément dans la misère.
A Coronaland, les gouvernements et l’information organisent le futur. Ils prétendent que ce qu’ils mettent en place est provisoire.
A Coronaland, le futur se résume à un mot, « l’après », mais il se prépare dans le présent.
A Coronaland, le passé n’existe plus : les insurrections, les colères, les disputes d’hier se sont dissoutes dans l’exigence présente de se protéger du virus.
A Coronaland, la fable que le gouvernement raconte avec ses amis journalistes est que ceux qui étaient contre lui sont désormais avec lui. « Nous sommes en guerre » disent-ils. Contre tous. Comme toujours.
Le virus de l’information
A Coronaland, le virus est devenu la mesure de toutes choses. Il est dans toutes les têtes et il y fait son travail bien longtemps avant d’atteindre les corps.
A Coronaland, l’avalanche d’informations sur le virus précède l’expansion du virus. Et quand le virus arrive, c’est toujours l’information sur le virus que l’on voit. Le virus parle, le virus agit, le virus est farceur. L’information est la face obscure du virus, celle qui, partout présente, n’est jamais vue.
A Coronaland c’est la panique médiatique qui se transporte de lieu en lieu, elle ouvre la voie au virus qui vient ou ne vient pas. La réalité se dérobe, comme le sol sous nos pieds.
A Coronaland, l’information dominante fait parler les scientifiques qui font parler le virus. Ils disent la vérité du virus. L’information les sort un à un de la boîte, les met en scène pour un tour de foire, puis les range dans la boîte quand plus personne ne veut les voir. C’est qu’ils s’usent vite.
A Coronaland, l’information discute avec effroi et délectation les simulations des scientifiques : deux millions de morts sont annoncés aux Etats-Unis si rien n’est fait, et cinq cent mille au Royaume-Uni.
A Coronaland, le public croit que c’est le virus qui oblige les Etats à agir de manière similaire. Mais c’est l’information qui oblige les Etats à agir : formant le problème en le présentant, diagnostiquant le problème en « temps réel », prescrivant la solution à administrer.
A Coronaland, rien ne ressemble plus à un Etat face au virus qu’un autre Etat : confinement, discours nationaliste, état d’urgence.
La liberté et l’Etat
A Coronaland, sur un coup de sifflet d’une poignée de gouvernants, des milliards d’humains sur la planète sont renvoyés chez eux avec ordre de ne pas en bouger.
A Coronaland, les paroles des gouvernants ne sont effectives que par le consentement des gouvernés. Et le consentement est grand : Etat, protège-nous du virus ! Protège notre vie ! Paniqués, ter-ro-ri-sés, ils prient le Moloch. Quelle aubaine !
A Coronaland, on sait très bien que les gouvernants sont un gang de communicants en guerre permanente contre le peuple. Mais on fait comme si, comme si ce gang allait nous protéger. Parce qu’ils sont à la tête de l’Etat, et que l’Etat, lui, est bon. Par essence.
A Coronaland, les individus ont préféré la vie à la liberté. Ils se sont asservis à cet autre, l’Etat, au nom d’une protection illusoire de leur vie.
A Coronaland, l’Etat vous enferme chez vous pour votre bien.
A Coronaland, on se réveille avec le décompte des morts et on se couche avec le décompte des morts. Comment évolue la courbe aujourd’hui ?
A Coronaland, l’Etat aplatit la courbe en séquestrant les gens à leur domicile. Voilà chacun immobile, reclus, réduit à la condition d’un point infime sur une courbe. Une société toute entière réduite à un ensemble de points minuscules formant une courbe. Sur laquelle on appuie, pour l’aplatir.
A Coronaland, c’est le gouvernement qui décide si oui ou non, un masque protège chaque individu, et quels individus, dans quelles circonstances, doivent être protégés.
A Coronaland, la mort et la vieillesse, que l’on cachait, deviennent les armes de l’oppression. Chacun crie : je veux vivre !
A Coronaland, en période de confinement, on tape des mains à huit heures pour soutenir les employés des hôpitaux. Comme pour se rassurer face à la mort qui rode.
A Coronaland, l’impuissance et l’inaction de ceux qui nous contraignent alimentent leur puissance.
A Coronaland, le meilleur spectacle, c’est celui dont dépend ta survie.
La réinvention de l’économie planifiée
A Coronaland, on expérimente ce que l’on savait déjà avec les marchandises : le monde est le même partout.
A Coronaland, les démocraties libérales planifient l’économie et veulent être gouvernées par un seul. Les parlements sont suspendus. Le débat sur la gestion de l’Etat se résume à des soliloques d’un seul personnage : président, premier ministre, chancelier…
A Coronaland, on trouve la Chine décidemment trop autoritaire, mais on fait l’apologie de son efficacité : de son organisation militaire, de l’obéissance de tous, du pouvoir d’un seul. La Chine est le rêve des démocraties libérales.
A Coronaland, il y a un péril plus grand que le virus, plus mortel que lui. C’est l’économie. Certains gouvernants pensent que l’économie est vivante, ils la mettent sous perfusion. Leur religion exige des sacrifices humains.
A Coronaland, l’Etat garantit toute l’économie, il rachète à tour de bras, à coup de milliards. Iranie de l’histoire, l’Etat néo-libéral réinvente l’économie planifiée.
A Coronaland, la faillite générale du capitalisme s’approche. Cette monnaie-là ne vaut déjà plus rien, celle-là ne vaudra plus rien dans un avenir proche ; passons à autre chose si vous le voulez bien.
A Coronaland, les gouvernants ont hypothéqué le futur des populations. On se met à parler de dette éternelle. Les milliards à peine versés aux entreprises, on annonce la récession que les gouvernants viennent de créer, et la dette qu’il faudra payer, disent-ils déjà sur le ton de la menace. Ils ont vendu le futur de chacun sur une folie qui n’engage qu’eux, et, déjà, ils se paient de mots.
A Coronaland, quand on parle du gouvernement, on dit ces menteurs, ces imposteurs, ces pitres, ces impuissants, ces incompétents, ces clowns, ces abrutis, ces criminels, ces névropathes, ces sociopathes, ces bouffons, ces blablateurs, ces cloportes.
A Coronaland, les lapins crétins gouvernent mais ils ne profiteront pas longtemps de la passivité de ceux qui les regardent.
La fin, la fin et la fin
A Coronaland, le virus est une forme de l’aliénation. C’est une métaphore pratique de la perte de maitrise des sociétés sur leur devenir. C’est une métaphore pratique du devenir-catastrophe des sociétés. C’est une image de l’attente de la fin.
A Coronaland, l’information et son virus ont orienté les relations sociales dans un seul sens, dans une seule urgence, qui fonde une mobilisation totale.
A Coronaland, grandit l’idéalisme de l’Etat protecteur. Pour certains, l’Etat n’aurait été que dévoyé par des gestionnaires incompétents, il suffirait de le restaurer.
A Coronaland, dans l’image de l’effondrement du monde, dans la comptabilité de la destruction des existences, l’Etat est le point fixe imaginaire auquel certains individus se raccrochent.
A Coronaland, société sans but, la dépendance est la situation la plus enviée. L’autonomie fait peur, il faut un maitre.
A Coronaland, la liberté est redevenue un jeu entre la vie et la mort.
A Coronaland, le temps de la catastrophe sans fin a remplacé le temps du progrès infini. Ces deux infinis sont aussi mensongers l’un que l’autre.
A bas Coronaland ! A bas à Coronaland ! A bas Coronaland !
A Coronaland, la misère de la vie quotidienne est nue. Il y a partout, mêlé à la peur, un sentiment d’absurdité. Il n’y a plus de diversion. On ne comprend rien à la situation que l’on vit. Ou plutôt, on la comprend trop. Ce qui la rend insupportable.
A Coronaland, le consentement à être assigné à résidence et à être masqué, s’accompagne d’une défiance croissante vis-à-vis de l’Etat.
A Coronaland, les mises en scène médiatiques apparaissent pour ce qu’elles ont toujours été : un grand guignol mortifère avec des acteurs exécrables.
A Coronaland, on a enfin découvert la fin du temps : qui file, qui file et qui file, qui bugge, qui bugge et qui bugge.
(Libelle n°4 du 30 avril 2020, modifié le 5 septembre 2020)